Calme : Aujourd'hui, un assassinat a eu lieu dans le bois derrière chez moi. Je l'apprends dans le journal. La première page s'ouvre sur un titre noir et gras : "Encore un innocent promeneur égorgé à la lime à ongle". Mais je n'en crois rien. Je marche souvent des heures durant dans le sous-bois et je sais bien que rien n'y bouge. Je reconnais le grouillement des insectes dans le fond de l'humus ; il est parfois comparable à une ville entendue de loin, avec ses conversations, ses on-dit, ses appels, ses cris et ses résonances. Mais rien ne le rapproche de la fureur du meurtre. Je reconnais aussi ces mouvements aériens qui furètent entre nos têtes, papillons, amulettes, mais ils ont autre chose de considérablement plus fluide que le pas tranquille du criminel dans notre dos. Je sais combien le souffle du vent dans les feuilles des arbres est plus imperturbable, plus doux que la respiration placide de l'exécuteur sommaire qui nous suit. Je reconnais, entre le reflet des astres dans les flaques et les lueurs scintillantes des rangées de lucioles, l'éclair bref et précis du tranchant d'une lime à ongle. Et je sais que le visage paisible et triste de la lune ne ressemble en rien à cette grimace finale.