Amnésie : tout ce que je sais. Chaque jour je m'éveille dans la peau d'un autre dont je ne me rappelle rien. Je suis plongé de plein pied et sans aucune introduction dans un monde dont je ne saisis rien. Afin de me sentir quelqu'un, il m'est alors nécessaire de fixer au moins un détail de ce que je peux reconnaître, et de me le rendre palpable, compréhensible à mes yeux, avant de m'endormir. Mais de jour en jour, il m'est plus impossible de laisser une trace en ligne droite ou même en pointillés qui récite mon histoire dans son ensemble, comme celles de mes être passés. Au contraire, c'est par les choses extérieures à moi-même qui changent, je le suppose, moins que moi dans leurs apparences, que j'essaye de conserver, par bribes, presque sans liens définis, un vocabulaire aussi extensif que possible de ma survivance au monde. Dans l'absurde solitude de chacun de ses objets séparés que je lui attribue au cours de chacune de mes vies ultimes, l'une après l'autre, petit à petit, cet état unique dans le texte, et rendu un, par assemblage, et se fixe sur une architecture en fils de fer d'un univers intérieur, qui n'a rien d'une projection du monde. Par cette construction, un personnage se battit en moi, mais sans moi, qui serait moins oublieux et plus concret que moi, plus matériel aussi, et auquel l'apparente continuité du temps et de l'espace correspond. Lui-même phalange finale de son univers, propre, articulation d'une de ses, de mes, extrémités. S'il s'agit d'un voyage, c'est celui du retour. C'est tout ce que je sais.